décembre 7th, 2007 Rackam
M. Dominique de Villepin nous a fait l’honneur d’une visite dans les locaux de l’Institut Politique de Lille ce jeudi 06 décembre pour traiter du thème “Pouvoir et politique” et à l’occasion également de la sortie de son dernier ouvrage Le Soleil noir de la puissance 1796-1807.
Biographie.
Petit rappel biographique qui peut toujours s’avérer utile pour situer le personnage. Dominique Galouzeau de Villepin est né à Rabat en 1953. Titulaire d’un diplôme de l’Institut d’Etudes Politique, énarque, il entre aux Affaires étrangères à sa sortie de l’ENA. Il occupe plusieurs postes de diplomatie avant de devenir directeur de cabinet d’Alain Juppé puis Secrétaire Général de l’Elysée sous le septennat de M. Chirac (1995-2002). Il prend la tête du Ministère des Affaires étrangères pour deux ans puis de celui de l’Intérieur pour une année. Il est enfin nommé Premier ministre de 2005 à 2007 puis prend sa retraite politique.
Introduction
Après cette biographie fort chargée, passons au sujet en lui-même, à savoir la conférence qu’il a animé en cette après-midi pluvieuse. M. Pierre Mathiot, directeur de l’IEP, introduit cette conférence au cours d’une intervention d’une poignée de minutes. Il pose globalement trois questions à M. de Villepin pour poser les jalons de son discours. La première concerne plus son lire, la passion prononcée de M. de Villepin pour le personnage de Napoléon Bonaparte (un prochain ouvrage conclura un triptyque sur sa vie). M. Mathiot a ressenti un positionnement de Napoléon I comme une sorte de “héros repoussoir”, un grand souverain mais qui aurait trahi son idéal de départ pour une volonté expansionniste. Il s’interrogeait donc sur la pertinence de son analyse de l’écrit de M. de Villepin. La deuxième question concernait plus le thème devant être abordé, à savoir les rapports entre solitude et pouvoir. Le Premier ministre qui est l’homme par excellence disposant de moyens de communication et dont une grande partie du rôle même concerne cette thématique est pourtant un homme seul voire isolé. Qu’en est-il de ce paradoxe. Enfin, il a conclu avec une interrogation plus personnelle. En effet, il questionnait M. de Villepin quant à sa légitimité en tant que Premier ministre, lui qui n’a jamais pratiqué de mandat électif.
Précisons de prime abord que M. de Villepin n’abordera aucunement ces thèmes et idées dans son intervention qui n’aura d’ailleurs même pas de rapport direct avec l’intitulé de la conférence (Pouvoir et politique). Il me semble pertinent également de préciser qu’il s’est avéré parfois assez difficile à retranscrire, notamment parce qu’il multiplie au début de son intervention les références littéraires desquelles je me dois d’avouer ma plus complète ignorance. Ainsi, préfère-je m’excuser par avance si mon compte-rendu n’est pas parfaitement clair, j’ai essayé de ne pas travestir ses paroles tout en les rendant le plus compréhensible possible. Pour terminer sur la forme, le personnage est éloquent et apparaît souriant et sympathique.
Deux défis pour la politique
Introduction
M. de Villepin pose les deux parties qui vont composer son intervention, à savoir le défi mondial et le défi collectif de la France plus spécifiquement. En somme, comment faire en sorte que la France demeure la France, demeure elle-même dans un monde qui change et qui change vite ?
L’ancien Premier ministre puise dans l’Antiquité elle-même pour nous ramener aux sources de nos sociétés, à ces cites athéniennes qui, les premières, posèrent les questions qui nous intéressent encore aujourd’hui. Ainsi fait-il référence à deux mythes, celui d’Oedipe devant les portes de Thèbes dans un premier temps qui amène les questions de la solitude, de l’isolement mais aussi de la peur ou de la violence. La deuxième repère se trouve être le célèbre Labyrinthe (de Minos) qui symbolise la complexité de la vie, la dichotomie entre les volontés et les résultats.
Toutefois, si ces questions sont donc très anciennes, il semble que nous ne soyons pas plus capables d’y répondre que les philosophes grecs et que nous n’ayons guère évolués.
Défi mondial
Le monde a connu un véritable bouleversement depuis le temps même de la jeunesse de M. de Villepin. Les pays dits du Sud ont effet modifié le rapport de force par rapport au Nord. Quelques maigres décennies plus tôt, le Nord gouvernait sans contestation et décidait simplement s’il était assez généreux, s’il était suffisamment proche de sa grande tradition humaniste pour aider les pays du Sud, leur accorder par pure bonté d’âme quelques miettes. Or aujourd’hui, il se trouve que le Sud a conquit cette place que nous lui refusions, qu’il a complètement inversé ce rapport de force avec le Nord, il s’est véritablement émancipé.
M. de Villepin multiplie à ce moment du discours les références littéraires (Fernando Pessoa, Paul Celan notamment) et conclut sur le rôle précieux de l’art, de la littérature pour nous faire évoluer, pour modifier les consciences.
Ce défi du monde se caractérise par un désordre manifeste. On observe à une multiplication des crises et surtout de leurs conséquences. La mondialisation a entraînée un effacement des frontières, les conflits ne peuvent plus être considérés comme uniquement locaux mais ont bien des répercutions sur la région dans son ensemble et même le monde. Ainsi les Américains pensaient-ils pouvoir par une intervention en Irak, résoudre la crise Iranienne, calmer les velléités syriennes et résoudre la crise israelo-palestienne par “magie”. Toutefois, cette transition m’amène au second point de ce défi, à savoir la révolution de la puissance. La question de la force est selon l’ancien diplomate totalement absurde, elle n’est pas la seule clé de la puissance qui plus est.
Et M. de Villepin de mettre en lumière un paramètre totalement nouveau, à savoir l’identité, renforcée qu’elle est par cette mondialisation. Cette conscience que l’on a d’exister en tant qu’individu et au sein d’un groupe s’accompagne d’un véritable besoin de reconnaissance. C’est un rempart face à des agressions qui s’oppose à tout ce qui est imposé par l’extérieur a fortiori à tout ce qui est imposé par la force. Et l’on voit bien que cette conscience identitaire présente deux facettes, d’un côté l’aspect positif à savoir la défense de sa culture et de l’autre, les dérives, les déviations d’une conscience nationale, d’un patriotisme en un nationalisme.
Les problèmes nationaux dépassent les capacités des simples Etats aujourd’hui. D’où la nécessite d’une gouvernance mondiale, dès lors qu’une conscience mondiale est née. Cette conscience est bien présente mais les Etats ne se sont pas encore rendu compte ou n’ont peut-être pas encore accepté qu’ils ne peuvent être efficaces. La gouvernance est impossible sans l’accord des plus puissants, sans une véritable volonté de délégation des tâches et du pouvoir. En effet, M. de Villepin est persuadé que rien ne peut fonctionner sans que ces capacités d’agir et de faire ne soient déléguées.
Maintenant que l’on s’est accordé sur le fait que l’eau, l’air, la Terre étaient des biens publics mondiaux, il faut considérer la même chose pour la paix ou encore la justice. Ces biens doivent être légués en bonne et due forme, doivent être pérennes pour les générations futures. C’est de l’intérêt général que retire la gouvernance sa légitimité.
Ainsi se marque-t-elle par une multipolarité, puisque de nombreuses associations ou groupes se sont formés comme l’Union Européenne, l’OTAN, le MERCOSUR etc., mais aussi par une délégation du pouvoir. M. de Villepin nous explique alors qu’il avait proposé que les ministres des Affaires étrangères se réunissent au Conseil de Sécurité de l’ONU tous les mois même en tant que paix et non plus une fois par an. Ceci-ci avait pour objectif de proposer un plan pour la paix dans la durée, d’anticiper mes crises au maximum. Toutefois, cette suggestion n’a pas été prise en compte et certains problèmes ne sont actuellement pris en charge par personne. Les institutions internationales ont besoin d’être rénovées, efficaces et légitimes et les pays du Nord ont tout intérêt à fixer désormais des règles dont ils ne souhaitaient pas l’existence auparavant. Quoi qu’il en soit, une véritable mondialisation des esprits, une capacité à être mondial est à l’heure actuelle nécessaire.
Défi français
M. de Villepin est convaincu que la Révolution Française n’est pas encore achevée.
- Ainsi met-il en exergue la faiblesse du consensus français. L’idéal de liberté à la base de cette Révolution a été détourné vers des notions positives comme l’égalité ou la propriété mais aussi vers des aspects plus facilement travestis tels que le mérite qui se confond souvent avec la vanité. La suspicion entre le pouvoir et la société est encore la marque de notre France actuelle et est véritablement nuisible.
- Il souligne également la faiblesse de l’esprit collectif en France. Le peuple français a une énorme difficulté à se mobiliser sur des sujets divers d’où la difficulté notamment à entreprendre des réformes.
- Autre écueil regrettable, la conception d’un “pouvoir majesté”. C’est une société de la défiance envers ce pouvoir, mais également entre les membres de cette société, pouvoir qui occupe l’ensemble de l’espace commun. L’Etat doit régler tous les différents entre les particuliers notamment. Cette idée du pouvoir entraîne une regrettable oscillation entre un excès d’attente vis-à-vis de ce pouvoir et un désenchantement certain quant aux résultats.
- Enfin, la société demeure trop castifiée, trop écartelée. La promotion de la réussite crée également l’échec, elle écarte, sépare les personnes et divise la société. Le citoyen lui-même est divisé, en son soi même, entre le consommateur, le producteur, le contribuable, l’usager, le citoyen…
Et M. de Villepin de proposer trois pistes répondre à ce double défi. La première piste est la réconciliation, première et peut-être unique tâche de la politique. Ensuite doit-on observer une mobilisation autour de plusieurs projets, notamment sur les réformes ainsi que sur la construction européenne. Enfin il est nécessaire d’avoir un véritable projet mondial.
Séance de questions
Après ces quelques trois quarts d’heure d’intervention a suivi la traditionnelle séance de questions qui s’est avérée finalement courte et assez peu intéressante.
Cet échange a débuté par deux questions vraisemblablement mal comprises (soulignons les mauvaises conditions acoustiques) par M. de Villepin puisqu’il a répondu soit partiellement soit totalement en dehors de l’interrogation. La première a toutefois permis de mettre en avant le paradoxe de la mondialisation concomitante à la recrudescence des frontières en ce qui concerne l’immigration. La nécessité de travailler une fois de plus sur une échelle plus large que celle des Etats a été promue, évidence du fait de l’espace Schengen ici. Cette question de l’immigration doit s’accompagner d’un co-développement, notamment pour mieux comprendre les raisons de cette immigration illégale.
M. Mathiot, sans doute quelque peu frustré que l’intervention de notre invité n’ait pas porté sur ses questions a profité de l’occasion pour les poser à nouveau. Pour rappel, il s’agissait de l’isolement procuré par le pouvoir ainsi que de sa légitimité (par rapport aux mandats électifs).
Selon M. de Villepin, la solitude est une qualité intrinsèque de l’exercice de la fonction de Premier ministre. Un homme de pouvoir tel que le Premier ministre est sur le devant de la scène, sous l’exposition directe et permanente des projecteurs et donc, aveuglé. Cet isolement est un miroir, à la fois positif et négatif, reflet fidèle et piège. Il permet de prendre de la distance, du recul et d’acquérir une certaine sérénité. Toutefois, il peut également amener un narcissisme, le pouvoir est investi et occupé par des hommes cherchant l’honneur de la fonction. Le miroir, le “soleil noir” présente cette dualité entre l’image que le politique donne et l’image de ce qu’il fait réellement.
M. de Villepin se défend de son absence de mandat électif par la succession ininterrompue de fonctions qu’il a occupé, des Affaires étrangères à Matignon. Qui plus est, il se déclare totalement opposé aux parachutages (un homme politique de premier rang est investi par le parti dans une ville ou une circonscription avec laquelle il n’a pas le moindre rapport).
Des questions suivantes, je ne retiendrai principalement que la formule de “l’insatisfaction créatrice” en tant que moteur de la construction européenne, cette faculté à ne jamais être satisfait et à toujours vouloir avancer et progresser pour améliorer la situation du monde.
Conclusion
Que dire en guise de conclusion si ce n’est de rappeler le caractère très sympathique du personnage et son éloquence. Son intervention ne s’est inscrite ni dans l’intitulé de la conférence, ni dans les questions directrices de M. Mathiot, ce qui ne l’a pas empêchée d’être enrichissante. On regrettera peut-être des références littéraires un peu trop abondantes et obscures pour un étudiant de première année j’oserais dire typique et un discours dont la structure n’apparaît pas clairement au premier abord, structure que l’on retrouve toutefois plus facilement à l’écrit. On notera également à son actif de multiples raccords à l’actualité qui ont dynamisé et souligné son intervention, ainsi qu’une absence totale d’une supériorité qui peut transparaître parfois lors de ses interventions télévisées. Pour l’anecdote, on se souviendra également du magnifique poème, éloge de M. de Villepin, composé et récité par un étudiant.
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